Les grands mythes de l’huile d’olive : « Tradition n’est pas toujours raison » 

Photo by StateofIsrael on Foter.com / CC BY-SA

L’olivier, un arbre millénaire, une culture ancestrale, des pieds de 5.000 ans, des générations d’hommes et de femmes vivant de cet arbre phœnix symbole de tradition, de sagesse, point commun des 3 religions monothéistes occidentales et point central du paysage et de la gastronomie méditerranéenne. On aime tellement cette image du vieille arbre du vieux moulin que l’on retrouve actuellement sur beaucoup d’étiquettes la notion de « pression à froid » alors que la plupart des moulins sont aujourd’hui munis de centrifugeuses qui extraient (à froid toujours) l’huile d’olive. Quand un consommateur s’approche d’un moulin dit « moderne » pendant la récolte, il est souvent surpris de la propreté et du peu d’odeurs.
Le secteur oléicole s’est beaucoup modernisé ces dernières années pour des raisons de rentabilité bien sûr mais surtout pour une démarche qualitative (nutritionnelle et gustative). L’hygiène, le contact de l’huile avec la lumière, l’oxygène, les grignons, les eaux de végétation, le temps que durait le process, … étaient autant de foyers à défauts où notre huile pouvait passer en quelques secondes de vierge extra à lampante, du mot espagnol lampara (lampe en français), huile non apte à la consommation et utilisée dès le temps des romains comme combustible.
Pourquoi continue-t-on de vendre ces images de tradition comme si une huile d’olive de qualité était directement liée à une méthode qui se perpétue depuis des millénaires?
Et si la modernité avait dans le cas de l’huile d’olive été bénéfique pour nos papilles et notre santé ?

LA RÉCOLTE À LA MAIN

Dans les oliveraies traditionnelles, en pente, peu voir non mécanisables, on ne peut pas faire autrement que récolter à la main et pour le producteur c’est une course contre la montre pour envoyer le plus vite possible les olives au moulin. Une des causes du défaut de chômé (non-contrôlé), du défaut de vineux, de l’accélération de l’oxydation, des fermentations, … est le stockage prolongé des olives avant la trituration. Et pour faire une extra vierge extra, un temps très court doit être respecté entre l’arbre et la trituration. Le facteur temps est primordial et entre la récolte à la main et la récolte mécanique, le gain de temps est clair; aujourd’hui avec le développement du super intensif et l’utilisation des vendangeuses, ce temps est de plus en plus court, permettant d’avoir au moulin les olives fraîchement récoltées.
De plus la récolte à la main demande beaucoup de main d’oeuvre, un coût pour le producteur, et un stress pour trouver chaque année le personnel. Ce n’est pas le travail le plus populaire et l’utilisation de la gaule par exemple demande un vrai savoir-faire pour ne pas abîmer les fruits et le bout des rameaux (récolte de l’année suivante).

Méthodes de récolte des olives. À la main, éventuellement avec l’aide d’un peigne manuel on peut récolter 60 kg d’olives par jour. L’utilisation de la gaule est plus efficace (50 Kg d’olives par heure).

Olive gathering, amphora, ‚’circa 520 BC. British Museum

La photo de la vendangeuse a été prise le 24.10.2019 à Cortijo El Puerto (Sevilla) et celle de la récolte vient de leur site web

LE MOULIN

Après le temps, l’hygiène. Nous sommes passés au système d’extraction plutôt que de pression, car il était presque impossible de garder des mesures d’hygiène avec la presse et les techniques d’extraction utilisées avant l’arrivée des broyeurs, malaxeurs, centrifugeuses. Certains moulins extraient toujours avec une presse donc ce n’est pas mission impossible mais les normes de ces moulins doivent être drastiques. En plus de l’hygiène, la presse demande énormément de temps et de main d’oeuvre (on revient au même problème que pour la récolte) : temps + stockage prolongé des olives avant trituration + contact prolongé à l’air + contact prolongé de l’huile avec des restes de grignons font qu’il y a plus de risque avec le moulin traditionnel de perdre les attributs positif de l’huile et pire de développer des défauts sensoriels et d’augmenter les paramètres physico-chimiques.
Le moulin “moderne” en inox doit lui aussi être irréprochable pour éviter l’accélération des fermentations dus à des reste de pâtes restés depuis la dernière campagne même après chaque journée il faut nettoyer tous les tuyaux de l’unité de trituration. Pour celles et ceux qui n’ont pas de moulin le choix est très important. Avant d’emmener vos olives aller vérifier l’état des tuyaux !

Une photo de scourtins. J’ai fait exprès de prendre la photo d’une presse la moins nettoyée ! photo @alexandragauquelinroche

LES PLANTATIONS INTENSIVES OU SUPER-INTENSIVES

C’est vrai que le paysage des oliveraies intensives ou super intensives s’éloignent de l’image bucolique des oliveraie traditionnelle, qui représente encore la majorité des oliveraies du bassin méditerranéen, mais rapprocher les arbres permet une économie d’échelle sur plusieurs postes clé et donne plus d’olives à l’hectare.

Alors que d’autres plantations en intensif ne soulèvent pas les foules ni trop de questions (pommiers, pêchers, ..), l l’oliveraie super-intensive ou en haie fruitière avec un espacement de 1,5 mètres entre chaque arbre fait débat.

Pour : on produit plus, beaucoup plus, on est plus rentable, on peut mécaniser 100% de la récolte avec une personne au volant d’un vendangeuse et une autre au volant du tracteur qui ramènera les olives au moulin, on diminue le temps de récolte et le temps de transport jusqu’au moulin, gain de fraîcheur dû au gain de temps, on le fait pour d’autres fruits (pommes, poires), certaines variétés tolèrent très bien ces conditions, on peut être en bio et certains sont même en biodynamie, la qualité n’est pas moindre au contraire, … Dans les nouveaux pays producteurs ou dans les zones où l’on plante actuellement (comme au Maroc par exemple) le système super-intensif est le plus courant.

Contre : pas encore assez de recul pour voir les effets à long terme de ce système sur l’arbre, le sol et la biodiversité, la productivité de l’arbre est pensé à court terme (arrivée à 25 ans l’arbre est enlevé et on plante un nouvel arbre), les variétés qui tolèrent ce système sont très limitées (arbequina, arbosana, koroneiki, chiquitita et d’autres en cours de création), standardisation des variétés et du profil des huiles, les oliviers sont sous perfusion, on s’éloigne du paysage méditerranéen notre culture notre patrimoine, surexploitation des sols et des réserves d’eau, …

Ce n’est pas facile de se faire une opinion tranchée et c’est pour cela que le sujet divise autant. J’ai goûté des huiles merveilleuses en super-intensif, j’ai vu une plantation près de Sevilla en biodynamie avec d’autres variétés que celles citées ci-dessus avec un travail soigné et une belle éthique (Cortijo el Puerto, photos ci-dessous) ou près d’Hellin (Pago de peñarrubia). Mais je reste attachée à cet arbre à qui on laisse plus d’espace pour grandir et surtout qu’on laisse grandir. Il faut voir dans le temps ce que cela donne !

Productivité et coûts de production par type d’oliveraie : traditionnelle non mécanisable, traditionnelle mécanisable avec ou sans arrosage, intensif avec ou sans arrosage et super-intensif
Cortijo espíritu Santo, octobre 2018

TRAITEMENTS PHYTOSANITAIRES

Même combat que pour d’autres cultures, depuis des dizaines d’années on traite l’arbre, l’oliveraie, le sol. Les nouveaux producteurs, les nouvelles générations, … se heurtent souvent aux façon de faire « traditionnelles ».
Sans trop penser aux questions environnementales et sanitaires du consommateur, du personnel qui travaille dans l’oliveraie et des personnes vivant autour on utilise des traitements contre les ravageurs, les maladies et toute végétation qui peut faire concurrence à l’olivier en matière d’eau. Ces traitements ont un coût, sans oublier que le marché du bio est en pleine expansion et que dans de plus en plus de pays c’est une condition pour pouvoir vendre. Plusieurs études viennent aujourd’hui démontrer les bienfaits de la couverture végétale pour préserver les sols, les nappes phréatiques, et la biodiversité. Cécile Cron productrice (Cova Fumdada) et dégustatrice me disait quand cette série des grands mythes était entrain de voir le jour que : “Quand il pleut, l’eau ne rentre pas dans les sols car les sols traités sont durs comme de la pierre… donc piscines au pied des oliviers (quand il pleut pendant la période de récolte c’est une catastrophe) ou eau qui ravine et détruit les terrasses quand cultures en terrasses… Ensuite ces producteurs arrosent, on marche sur la tête. Les jeunes ou nouveaux producteurs sont beaucoup plus sensibles à ce thème.”

Voici le travail de SEO bird Life avec le projet de Olivares Vivos : «Olivares Vivos» rappelle l’importance de la couverture herbacée pour préserver le sol de l’oliveraie 
La couverture végétale bien gérée augmente la fertilité du sol et le protège de l’érosion. De plus, il améliore la biodiversité, favorise l’équilibre entre les communautés d’êtres vivants, contrôle les ravageurs et les maladies et atténue les effets du changement climatique dus à la séquestration du carbone.

LA GRAND-MÈRE ET LE GRAND-PÈRE

L’idée qu’il faut être né dans les oliviers, avoir un père et un grand-père oléiculteurs pour être oléiculteur à son tour, une grand-mère qui pendant toute notre enfance nous a cuisiné à l’huile d’olive et nous a éduqué à son goût pour être expert. C’est vendeur mais réducteur. Comme dans le vin, de nouveaux producteurs et productrices (!) ont découvert ce métier, ce produit sur le tard et après des parcours dans l’industrie, la communication, l’audiovisuel, la finance, … se sont dédiés par passion pour produire des huiles d’olive vierge extra d’exception.

Nos grands grands-pères et nos grands-mères au final ne produisaient pas si bien que ça (si on parle de qualité) : récolte trop tardive, en sac, du sol, olives piquées, stockage sur plusieurs jours avant d’aller au moulin, des restes de grignons dans la presse, … Les huiles étaient le plus souvent défectueuses et souvent non aptes à la consommation en l’état (Huile d’olive lampante). On se rend compte lors des dégustations que le goût de la fermentation non contrôlé ou du rance plaisent par habitude car c’est le goût de notre enfance. Une fois initié aux huiles vierges extra il n’y a plus de marche arrière possible.

NOUVEAUX PAYS PRODUCTEURS/ NOUVEAUX PRODUCTEURS

L’huile d’olive est produite aujourd’hui dans 56 pays dans le monde, 9 nouveaux producteurs sont venus s’ajouter depuis 2016 avec le Salvador, l’Éthiopie, le Koweït, l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan et la Macédoine. 9 nouveaux pays producteurs d’huile d’olive

Le verger a augmenté de 15% ces 15 dernières années avec 60% des oliviers plantés en Europe, 27% en Afrique, 10% en Asie, 2% en Amérique et moins de 1% en Océanie.
L’olivier est présent sur les 5 continents et les deux hémisphères.

Même si l’Espagne et l’Italie dominent toujours les premières marches des concours internationaux, des huiles venant des nouveaux pays producteurs (on entend par hors bassin méditerranéen) gagne du terrain et des marches sur le podium avec une démarche qualité comme ADN et aucune attache au passé. Dans le palmarès du mario solinas 2020 (Concours du COI) la Chine et l’Australie ont reçu un premier prix dans leur catégorie. CONCOURS INTERNATIONAL 2020 I LE MARIO SOLINAS

Les producteurs du pourtour n’ont pas à se faire du soucis, la concurrence ne vient pas du propre secteur, de ces nouveaux producteurs, ou nouvelles générations de producteurs, mais dans le marché plus vaste des huiles végétales où l’huile d’olive ne représente que 3% du total des huiles consommées, il y a donc de la marge.

LA SÉRIE

Les grands mythes : L’huile d’olive est un produit de luxe

Photo on Foter.com

Les grands mythes de l’huile d’olive : On ne cuit pas à l’huile d’olive

Photo by Waldo Jaquith on Foter.com / CC BY-SA

4 commentaires

  1. Atholea dit

    Excellent article. En effet, n’étant pas à la base dans le monde de l’huile d’olive, j’ai repris, il y a bientôt deux ans, un domaine familiale où on y cultive depuis plusieurs générations des oliviers. Et je rejoins complètement votre analyse où je me bats à redessiner la méthodologie de production face à la conviction de nos anciens qui avaient Leur propre méthode mais qui du coup rendait l’huile de mauvaise qualité. Tout un travail d’éducation… se battre pour améliorer cette tradition par de nouveaux procédés. Un exemple simple le fruité vert. Dans ma région, dans le sud de la Tunisie, ce fruité était jusqu’à mon arrivée inconnue. Lorsque j’ai fait gouté ce fruité dans mon village, ils ont été surpris car ils ne retrouvaient pas le goût « traditionnel »( même si ce dernier n’est pas ou peu extra vierge ). Tout un travail fastidieux entre prendre le bon de la tradition et gommer le mauvais par de nouveau procédé. Superbe article en tout cas, comme toujours !!!! Atholea Teams , Passionnément Vert

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