Depuis quelques semaines, l’« huile aux hydrocarbures » s’invite dans les médias. Derrière ce titre accrocheur, un solvant bien réel : l’hexane, utilisé depuis plus d’un demi-siècle pour extraire l’huile de nombreuses graines oléagineuses. Mais que disent vraiment les experts sur sa présence dans nos assiettes ? Faut-il s’en inquiéter ? Voici un condensé des dernières publications sur le sujet
Un solvant clé de l’industrie des huiles
L’hexane est un solvant organique issu du pétrole, très volatil, il se révèle particulièrement efficace pour dissoudre les graisses.
Depuis les années 1960, il est utilisé par les industriels pour extraire l’huile contenue dans les graines – notamment de colza, tournesol, soja, arachide ou maïs.
Son rôle est de récupérer le maximum d’huile après la première pression mécanique. Dans les usines dites de « trituration », les graines sont broyées puis mélangées à l’hexane, qui agit comme un “dégraissant”. La phase liquide obtenue est ensuite chauffée pour évaporer le solvant, recyclé en grande partie dans le procédé.
Cette technique permet d’obtenir des rendements proches de 98 % d’extraction, contre 70–80 % environ par simple pression mécanique.
L’hexane est classé « auxiliaire technologique » : il ne figure donc pas dans la liste des ingrédients, car il n’est pas censé rester dans le produit final. Pourtant, des traces résiduelles peuvent subsister, dans des proportions jugées « techniquement inévitables ».
Des résidus dans les produits du quotidien
En 2025, Greenpeace France a publié une enquête intitulée “De l’essence dans nos assiettes”, portant sur 56 produits alimentaires de grande consommation : huiles, margarines, laits infantiles, mais aussi beurres et viandes.
Résultat : 36 échantillons contenaient des résidus d’hexane, parfois détectables à l’état de traces, toujours sous les seuils réglementaires européens.
Leur rapport souligne un point souvent méconnu : les résidus d’hexane ne se limitent pas aux huiles non vierges, mais peuvent aussi se retrouver indirectement dans la chaîne animale (lait, beurre, viande, œufs) via l’alimentation du bétail nourri aux tourteaux issus de graines extraites au solvant.
Le Monde (22 septembre 2025) confirme ces ordres de grandeur : les concentrations mesurées restaient inférieures à 1 mg/kg, la limite fixée pour les huiles alimentaires par la directive européenne 2009/32/CE.
Mais au-delà des chiffres, le rapport de Greenpeace a ravivé une interrogation : que sait-on vraiment de la toxicité de ces résidus ?
Un neurotoxique reconnu… mais mal évalué à faibles doses
Sur le plan toxicologique, l’hexane n’est pas une inconnue : il est reconnu neurotoxique depuis les années 1970.
Les troubles décrits concernent avant tout les expositions professionnelles, dans les ateliers mal ventilés, où les vapeurs d’hexane peuvent provoquer des atteintes nerveuses périphériques (troubles de la sensibilité, faiblesse musculaire).
Cependant, les données sur l’exposition chronique alimentaire – à des doses infinitésimales – restent faibles.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), dans un rapport technique publié en 2024, estime que les études disponibles sont anciennes et insuffisantes pour caractériser le risque lié aux faibles doses.
Elle a donc lancé une réévaluation complète de la sécurité de « l’hexane technique » utilisé comme solvant d’extraction, ainsi qu’un appel à données aux États membres et aux industriels (EFSA, Call for data on the re-evaluation of technical hexane used as extraction solvent, 2025).
Les experts de l’EFSA rappellent que les limites actuelles ont été fixées à partir d’études datant de 1996 ; or la connaissance sur les effets sublétaux, les perturbations endocriniennes ou les expositions combinées a depuis beaucoup évolué.
Ce que disent les industriels
La Fédération nationale des corps gras (FNCG), qui regroupe les acteurs de la filière oléagineuse française, défend un usage « encadré et sûr » du solvant.
Elle rappelle que l’hexane est entièrement évaporé lors du raffinage, et que les résidus mesurés sont « sans impact sanitaire avéré ».
Dans un communiqué de 2024, la FNCG souligne que le recours à l’hexane garantit des huiles accessibles et stables, et qu’aucune alternative industrielle n’offre pour l’instant le même rendement à coût équivalent.
Cette position est partagée par plusieurs experts du secteur, qui rappellent qu’un solvant n’est pas un additif : sa présence résiduelle n’est pas intentionnelle et fait l’objet de contrôles réglementaires stricts.
Première pression, vierge ou bio : les seules garanties d’absence de solvant
Toutes les huiles vierges ou vierges extra – d’olive, de noix, de colza ou d’avocat – sont obtenues uniquement par des procédés mécaniques (pression, décantation, centrifugation).
Elles n’ont jamais été en contact avec un solvant : c’est la garantie la plus simple pour éviter toute trace d’hexane. De même, le règlement bio européen interdit formellement l’usage de solvants chimiques dans la fabrication d’huiles et de tourteaux.
Mais il existe aussi sur le marché une catégorie d’huiles d’olive raffinées.
Il s’agit d’huiles d’olive initialement vierges, mais de qualité physico-chimique et ou organoleptique insuffisante (acidité oléique libre trop élevée, oxydée ou défectueuse) qui sont raffinées pour être rendues consommables.
Ce raffinage se fait sans solvant hexane, contrairement aux huiles de graines, mais par des procédés physico-chimiques (neutralisation, décoloration, désodorisation à haute température, souvent entre 200 et 240 °C).
Ces huiles, une fois raffinées, sont ensuite mélangées à une petite proportion d’huile vierge pour retrouver goût et couleur : ce sont les « huiles d’olive » tout court (sans mention « vierge »). Elles sont donc autorisées à la vente, mais appauvries en composés phénoliques et en arômes , et ne bénéficient plus des effets santé associés à une huile d’olive vierge extra.
Autrement dit :
- « Première pression à froid », « vierge », « vierge extra » ou « issu de l’agriculture biologique » = sans hexane.
- « Huile raffinée », « huile végétale », « matière grasse végétale » = extraction possible par solvant, même à l’état de traces.
- Les huiles de grignons le seul cas ou de l’hexane peut être utilisé
Le cas des huiles de grignons
Après l’extraction mécanique, il reste dans la pâte d’olive un résidu solide appelé grignon: pulpe écrasée, fragments de noyaux, et encore 3–5 % d’huile résiduelle.
Cette matière n’est pas jetée : elle peut être valorisée pour produire l’huile de grignons d’olive brute.
Étape 1 — Extraction au solvant : C’est ici que l’on utilise un solvant organique, le plus souvent l’hexane, pour extraire le reste d’huile du grignon séché.
Le produit obtenu est une huile de grignons d’olive brute, impropre à la consommation humaine, que l’on va raffiner pour être vendues (consommées).
Étape 2 — Raffinage : Cette huile brute est ensuite raffinée (neutralisation, désodorisation, décoloration) pour donner l’huile de grignons d’olive raffinée.
Celle-ci est ensuite coupée avec une petite proportion d’huile d’olive vierge pour constituer l’huile de grignons d’olive vendue en commerce.
Le COI (Conseil oléicole international) et la réglementation européenne autorisent explicitement cette étape d’extraction au solvant :
« L’huile de grignons d’olive brute est obtenue par traitement du grignon d’olive avec des solvants ou d’autres procédés physiques, à l’exclusion des procédés de re-estérification et des mélanges avec d’autres huiles. » (Norme commerciale COI/T.15/NC n°3/Rev.20, 2023)
Conclusion
Les articles parus dans la presse traduisent une inquiétude légitime : celle de la présence d’hydrocarbures dans des produits alimentaires. Mais il ne faut pas confondre présence détectable et risque sanitaire avéré. La réévaluation engagée par l’EFSA marque une étape importante pour lever les doutes.
Grignons humides et grignons secs
Sources
Greenpeace France, « Scandale sanitaire : l’hexane, un solvant toxique dans vos assiettes », septembre 2025.
Le Monde, « Inquiétudes sur la contamination de l’alimentation par l’hexane », 22 septembre 2025.
EFSA, Technical report on the re-evaluation of technical hexane used as extraction solvent, 2024–2025.
L’ELLE, octobre 2025
La Terre au carré (France Inter), émission du 17 septembre 2025, avec Guillaume Coudray, auteur de L’essence dans nos assiettes. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-mercredi-17-septembre-2025-5061643
Lel.media, « Le mythe de l’huile aux hydrocarbures », 2025. https://lel.media/le-mythe-de-lhuile-aux-hydrocarbures/
Article 3 du Règlement (UE) n° 2022/2104 (remplaçant 2568/91) : « Les huiles d’olive vierges sont obtenues à partir du fruit de l’olivier uniquement par des procédés mécaniques ou d’autres procédés physiques, dans des conditions thermiques qui n’entraînent pas d’altération de l’huile. »
Contamination des huiles d’olive : focus sur les MOSH, MOAH et autres contaminants indésirables
Excellent article ! Merci pour toutes ces précisions !
🙂 Comme s’annonce la récolte cette année?
Article intéressant!
Mais comment en informer le consommateur?Seul les professionnels sont aux courant!
Merci
C’est vrai mais tant que l’EFSA n’a pas complété ces analyses les huiles extraites respectent les seuils donc pas d’alarme pour le moment.
Cela dit c’est un argument de poids quand on parle de prix qui semble élevé des huiles d’olive vierges (et toutes les huiles végétales vierges) face aux huiles végétales (raffinées).