Les Maasaï font partie des peuples emblématiques de l’Afrique Subsaharienne, rendus célèbres notamment par le récit qu’en fit Joseph Kessel dans son roman Le Lion. Éleveurs semi-nomades parcourant les hauts plateaux de part et d’autre de la frontière entre le Kenya et la Tanzanie, ils vivent en symbiose avec la nature qui les entoure et vouent notamment un culte très important à un arbre qu’on n’imaginait pourtant pas retrouver sous ces latitudes et à cette altitude : l’olivier !
La culture Maasaï
Bien que la colonisation britannique, la mondialisation et enfin le tourisme de masse aient pénétré jusqu’aux terres Maasaï, ces derniers sont parvenus à maintenir leurs traditions ancestrales et leur mode de vie. L’élevage du bétail – bœufs, chèvres et moutons principalement – constitue ainsi leur principale activité, ayant refusé jusqu’à présent les incitations gouvernementales au sédentarisme et au passage à l’agriculture.
Se déplaçant au gré des saisons sur leur vaste territoire principalement composé de savanes, ils ont développé au fil des siècles un rapport très profond avec la faune et la flore environnantes, qu’ils ont toujours veillé à protéger. C’est d’ailleurs dans les régions Maasaï, particulièrement préservées, qu’ont été établis les plus grands parcs animaliers du Kenya et de la Tanzanie : Serengeti, Amboseli, Maasaï Mara, Ngorongoro…
L’olivier africain
Parmi les nombreuses espèces de végétaux présentes en territoire Maasaï, quelle ne fut pas notre surprise de trouver, au niveau de l’équateur et à plus de 1600 mètres d’altitude, Olea Africana, l’olivier africain ! Les botanistes semblent encore partagés sur l’origine de cette espèce : s’agit-il d’un cousin des oliviers cultivés autour du bassin méditerranéen (Olea europaea), ou bien carrément de la branche mère, l’olivier sauvage sous sa forme primitive ? Quoiqu’il en soit, l’olivier africain – « oloerien » en langue Maa (la langue des Maasaï) – se plait sous ces latitudes, et il peut même pousser jusqu’à 2500 mètres d’altitude !
À regarder ses rameaux, pas de doute en tout cas, l’olivier africain est bien un proche parent de nos oliviers européens : on retrouve la même forme allongée caractéristique des feuilles, qui poussent ici aussi par paires opposées. Mais, n’étant pas cultivé, l’olivier affiche ici une silhouette bien plus élancée et haute qu’en Europe : certains individus que nous avons croisés montent ainsi à près de 15 mètres de hauteur. Enfin, à l’instar des oliviers sauvages qu’on peut aussi rencontrer en Corse par exemple, l’olivier africain produit de tout petites olives, dont le noyau représente la quasi-totalité du fruit (avec très peu de pulpe donc).
Un des 3 arbres sacrés des Maasaï
Passée la surprise de retrouver des oliviers au milieu de la savane africaine, une deuxième bonne nouvelle se fait jour. Nos guides Maasaï nous apprennent en effet que l’olivier est l’un de leurs trois arbres sacrés, avec l’oseki et le figuier étrangleur. Comme dans la culture méditerranéenne, la robustesse et l’immortalité de l’olivier lui ont conféré une aura très précieuse aux yeux des Maasaï, et il se retrouve ainsi au cœur d’un très grand nombre de rituels chez ce peuple aux mœurs très codifiées.
C’est notamment le cas dans la très importante cérémonie de circoncision des garçons, qui marque le passage de l’enfance à l’âge adulte et guerrier. Des branchages d’oliviers sont alors accrochés aux entrées du village pour signifier à chacun ce qui s’y déroule, et dans certaines familles des rameaux sont aussi placés sous le lit des garçons qui s’apprêtent à passer le rite. Enfin, l’opération elle-même se déroule au milieu d’un cercle formé par de jeunes pousses d’oliviers embrasées.
Plus tard, pendant les 5 années de formation guerrière que passent les jeunes adultes en dehors de leurs familles, une des épreuves initiatiques consiste à repérer un olivier jusqu’alors jamais touché par l’homme et à le déterrer à mains nues sans couper ni arracher une seule de ces racines. Une fois extrait de terre, cet olivier est convoyé sur les épaules de 49 jeunes guerriers jusqu’au cœur de leur « caserne » (manyatta), où il sera ensuite brûlé sous les yeux des anciens. Ce feu symbolise la naissance d’un nouvelle génération de guerriers, et l’olivier représente les bons présages, l’intégrité et la stabilité.
Dernier exemple avec cette incantation (qui pourrait nous donner des idées après une année 2022 marquée par l’absence d’eau en France) : pendant les grandes sécheresses, les Maasaï mettent le feu à des feuilles d’olivier pour que le nuage qui s’en dégage monte jusqu’au ciel, où il est censé appeler et faire tomber la pluie.
L’arbre à tout faire
En dehors des rites et cérémonies, les Maasaï tirent également parti de l’olivier pour des usages plus prosaïques. Les branchages, l’écorce ou encore les feuilles sont ainsi couramment utilisés, que ce soit pour fabriquer des ustensiles du quotidien ou préparer des remèdes thérapeutiques.
Plusieurs objets typiquement Maasaï sont en effet réalisés avec du bois d’olivier : la massue dont les adultes ne se séparent jamais, leurs bâtons de marche, voire même, pour certains guerriers, le corps de la lance qui leur sert d’arme. Autre usage plus inattendu : c’est dans des branches d’olivier que les Maasaï taillent… leur brosse à dent ! On a essayé et c’est assez efficace !
L’olivier est également précieux pour la conservation du lait et la confection des yaourts qui composent une part importante du régime alimentaire des Maasaï. Avant de remplir de lait les calebasses qui servent de récipient et de yaourtière, les femmes Maasaï y brûlent du petit bois d’olivier, dont la fumée et la cendre sont réputés purifier la gourde et permettre une meilleure conservation. Il existe même un mot en langue Maa pour désigner l’odeur du bois d’olivier qui se répand dans l’air (« aropil« ).
Enfin les feuilles d’olivier sont utilisées sous différentes formes pour des usages thérapeutiques. D’après les Maasaï, l’inhalation de vapeur de feuilles bouillies est particulièrement efficace contre le rhume, tandis que le bouillon de bois d’olivier est utilisé pour soulager les maux d’estomac. Mais il n’y a pas que les Maasaï qui raffolent de l’olivier : leurs chèvres aussi. Ainsi pendant les périodes de forte sécheresse, quand l’herbe vient à manquer, les bergers sont autorisés à prélever des branches sur les arbres sacrés pour les donner en pâture au bétail.
Un arbre sous haute surveillance
Tous les usages liés aux oliviers, qu’ils soient rituels ou domestiques, sont en effet encadrés par le conseil des anciens de chaque communauté Maasaï. Ce sont les sages de ce conseil qui décident si l’on peut ou non prélever des branches ou des feuilles sur tel ou tel olivier des environs – et malheur à celui qui ne respecte pas leurs consignes.
Si l’olivier fait l’objet d’une telle surveillance et de restrictions, c’est non seulement qu’il est sacré mais aussi qu’il se fait rare. Il est en effet très difficile dans ces contrées de faire pousser un olivier à partir d’un noyau d’olive ou d’une bouture, et il faut donc compter sur le lent et patient travail de la nature pour voir les arbres essaimer à droite à gauche. Heureusement, comme son cousin méditerranéen, l’olivier africain se révèle « immortel » et les arbres coupés à ras pour les cérémonies ou la manufacture finissent toujours par repartir en de vaillants rejets. Une propriété miraculeuse qui place l’olivier au cœur de plusieurs adages en langue Maa pour remercier, souhaiter la bienvenue ou une longue vie à son prochain…
Note sur les auteurs
In Olio Veritas : Fascinés par l’Olivier, Mathilde et Matthieu parcourent la planète à la rencontre d’oléiculteurs pour saisir les enjeux de la culture, de la production et de la consommation d’huile d’olive. Retrouvez leurs découvertes et récits sur inolioveritas.org et www.instagram.com/inolioveritas.
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Super reportage, passionnant de voir l’olivier faire un trait d’union avec une culture si différente !
Merci Cécile pour ton retour !