Peu de personnes le savent en Europe, ni même au Japon, mais il existe une production d’huile d’olive sur l’archipel nippon ! Principalement concentrée dans la préfecture de Kagawa, et plus précisément sur l’île de Shōdo, cette culture a commencé il y a plus de cent ans, peu après l’ouverture du pays sur le monde extérieur. Tour d’horizon de ce siècle d’existence avec Kubota Takeyasu, Directeur de l’Institut de Recherche Olélicole de Shōdoshima, et Shibata Hideaki, Chef du panel d’analyses sensorielles de ce même institut.
La légende raconte que le premier Japonais à avoir goûté aux olives fut Toyotomi Hideyoshi, l’un des trois seigneurs de guerre qui unifièrent le Japon à la fin du XVIème siècle. C’est le roi Philippe II d’Espagne qui lui aurait fait parvenir en 1594 un tonneau d’olives salées en guise de geste diplomatique. L’histoire ne dit pas si le noble officier apprécia l’offrande. A priori sans lien de cause à effet, le Japon ferma très peu de temps après ses portes au monde extérieur durant la fameuse époque Edo (1603 – 1868).
Il faut donc attendre la toute fin de cette époque pour que l’olivier croise de nouveau la route du Japon. En 1861 le médecin personnel du dernier Shogun, qui avait eu le privilège rare de pouvoir étudier la médecine occidentale, proposa d’exploiter les vertus thérapeutiques reconnues à l’huile d’olive. Des oliviers furent importés de France et plantés près de Tokyo, mais ils ne donnèrent jamais aucun fruit.
En 1874, au début de l’ère Meiji, le fondateur de la Croix Rouge japonaise fit venir à son tour des oliviers, italiens cette fois-ci. Ceux plantés à Tokyo n’eurent pas davantage de succès, mais certains arbres 500 km plus au sud donnèrent des fruits : les premières olives nées sur le sol du Japon !
La décisive guerre russo-japonaise
Les expérimentations continuèrent jusqu’à la fin du XIXème siècle, mais sans excès de zèle. Le tournant intervient en 1905 avec la victoire des Japonais dans la guerre contre la Russie, qui se doit abandonner de nombreuses îles du Pacifique nord à l’Empire nippon, et les zones de pêche qui vont avec. La production japonaise de poisson explose et il faut bien se procurer de l’huile d’olive pour mettre sous conserve toutes ces nouvelles sardines ! Las d’importer à hauts coûts le précieux liquide d’Espagne ou d’Italie, le gouvernement japonais se décide à relancer les études sur la viabilité d’une production domestique.
Après des examens préliminaires, 3 municipalités sont choisies en 1908 comme terrains d’expérimentation, parmi lesquelles Shōdoshima se révélera le seul succès. C’est le début d’une histoire vieille de 111 ans.
Des hauts et des bas pendant la deuxième moitié du XXème siècle
Après un boom dans les années 1950, avec un pouvoir d’achat des ménages soutenu par le « miracle économique japonais », la production domestique d’huile d’olive connaît toutefois une sévère décrue dès les années 1960, à la suite d’accords commerciaux qui entraînent l’arrivée au Japon d’huiles d’olive européennes peu onéreuses.
Il faudra attendre le tournant du siècle pour que la production reparte, sous l’effet conjugué d’une demande croissante du marché et de subventions des pouvoirs publics pour la plantation d’oliviers ou l’acquisition d’un moulin. Mais la production demeure aujourd’hui encore très faible, surtout au regard des volumes importés (voir notre article de synthèse à ce sujet)
Le rôle de l’Institut de Recherche Oléicole de Shōdoshima
Face à une culture nouvelle pour eux, qui requiert un savoir et des techniques particulières, les oléiculteurs de Shōdoshima ont toujours pu compter sur le soutien du centre de recherche oléicole, financé par la préfecture de Kagawa dont dépend l’île.
C’est dans cet institut, qui compte aujourd’hui 5 chercheurs et 2 techniciens agricoles, qu’ont été expérimentées et expliquées aux cultivateurs les différentes techniques d’entretien du sol, d’irrigation, de taille des arbres, de lutte contre les maladies, et bien sûr de récolte.
L’un des grands chantiers de l’institut a aussi été l’accompagnement des oléiculteurs, à partir de la fin des années 1980, dans le passage des pierres à meule et presses hydrauliques aux moulins modernes et mécanisés. Grâce à ce soutien technique, et aux subsides de la préfecture de Kagawa, plus de la moitié des cultivateurs de l’île possède aujourd’hui son propre (petit) moulin.
Parallèlement, à la fin des années 1990, l’institut s’est attelé à mettre sur pied son propre panel d’analyses sensorielles d’huile d’olive, composé aujourd’hui de 19 testeurs et certifié récemment par le Conseil Oléicole International (COI). Kubota Takeyasu et Shibata Hideaki sont devenus des dégustateurs reconnus, sollicités régulièrement pour de nombreux concours ou panels à travers le monde.
C’est cette expertise qui, en 2013, leur a permis de développer et rendre crédible une charte de certification DOP pour les huiles d’olive produites dans la préfecture de Kagawa, alors même que les standards internationaux du COI ne s’appliquent pas au Japon et que la classification officielle du gouvernement distingue simplement « huile d’olive vierge » et « huile d’olive raffinée ».
Ainsi, toute huile produite dans la préfecture de Kagawa et respectant les standards d’extra virginité du COI se voit remettre l’appellation DOP, qui se veut ainsi un réel gage de qualité. Un échelon supérieur, appelé « premium », récompense même les huiles qui respectent une liste de critères plus stricts que ceux du COI, notamment le taux d’acidité (0,3% au maximum vs. 0,8% pour le COI).
La création de ce label est au cœur de la démarche actuelle de l’institut pour tenter d’orienter le marché vers des huiles de meilleure qualité. L’idée est de créer un désir chez le consommateur pour une huile d’olive premium, afin que ce dernier se détourne enfin des médiocres huiles importées qu’il affectionne pourtant par manque de connaissance sur le sujet et par attrait pour la simple mention « made in Italy ».
Un combat qui risque de prendre encore un peu de temps, même si la passion des deux chercheurs pour le sujet laisse admiratif. Et qui sait, les deux premières variétés japonaises encore « top-secret » qu’ils viennent tout juste de faire naître dans leur laboratoire les aideront peut-être dans cette quête.